Bravo à nos lauréats de notre concours de nouvelles édition 2018
1er prix
« Vu du soleil » de Monsieur François Chollet
Vu du Soleil
Le Soleil n’avait guère de soucis. Son tempérament joyeux l’incitait à l’optimisme, et il se fichait de ce que l’on pensait de lui. Il était là depuis l’origine du monde, depuis que le hasard des trajectoires incandescentes issues du big bang l’avait amené dans ce coin de l’espace. Il se satisfaisait de ce quelque part qui n’avait pas de nom. Toutes les étoiles partageaient ce sort imprécis et le Soleil ne voyait pas là matière à se plaindre.
À son arrivée, on lui avait dit de ne pas chercher à faire l’intéressant. Les naines blanches, les trous noirs, ça donnait une jolie touche au décor, mais ça n’était pas très opérationnel. Lui, on l’avait formaté pour devenir le centre d’un système solaire exceptionnel, dans lequel on trouverait de la vie. Il s’agissait d’une expérience quasiment unique dans l’univers connu. Ce projet lui donnait de sacrées responsabilités.
Conformément aux consignes, il avait sagement pris sa place et éjecté vers sa périphérie quelques sphères de magma rougeoyant. Celles-ci, rapidement refroidies au contact du zéro absolu, s’étaient réparties sur de lointaines orbites. Le Soleil avait sa préférée, celle pour laquelle il avait particulièrement sélectionné les matières en fusion destinées à sa confection. Elle se positionna à courte distance, juste derrière deux consœurs plus petites et moins intéressantes. L’étoile surveillait sa favorite du coin de l’œil, d’un regard attendri. Il observa bientôt des phénomènes curieux à sa surface. Ça bougeait, ça se colorait, ça faisait du bruit. C’était donc ça, la vie ? Le Soleil trouvait l’idée originale. Elle présentait l’avantage de lui proposer un peu de spectacle dans un paysage plutôt tristounet.
Deux ou trois milliards d’années plus tard, la planète animée avait hérité d’un nom : la Terre. Le Soleil était conscient de l’importance de sa petite protégée, qui se transformait sous son œil attentif. On le lui avait confirmé, la vie n’existait qu’à de très rares exemplaires dans l’univers. La Terre était un joyau exceptionnel. Pour la soutenir, la brave étoile se concentrait sur sa mission d’astre solaire. Elle accomplissait avec constance les tâches qui lui étaient confiées : maintenir sa trajectoire, contrôler sa vitesse, brûler à température égale.
Sa situation excitait la jalousie de ses voisines. L’éther bruissait d’innombrables conversations de couloir, des couloirs ouverts à tous les vents galactiques, et cela lui revenait aux oreilles : il était pistonné, c’était un fayot… Au début, ces calomnies l’avaient fait souffrir. Mais il avait fini par blinder sa susceptibilité. Ce que l’on pensait de lui, les cancans qui agitaient les Landerneau intersidéraux, désormais il s’en moquait. Sa conscience professionnelle lui évitait les états d’âme.
Certes il comprenait les autres étoiles, placées au centre de systèmes sans vie. Cela ne devait pas être très rigolo pour elles. Mais lui n’y était pour rien. Il avait été choisi, ce n’était ni juste ni injuste. La marche du monde restait incompréhensible pour la majorité des objets célestes, et à son avis il ne fallait pas voir d’intentions malfaisantes dans le triste destin des uns ou du favoritisme dans la réussite des autres. Le soleil croyait au hasard, c’était la façon la plus apaisante d’aborder les questions métaphysiques.
Droit dans ses bottes, fidèle au poste, il vivait une période idyllique. Tout l’amusait : la dérive des continents, les chaînes volcaniques, le surgissement des montagnes, le mouvement des nuages, les va et vient des glaciations. La Terre faisait preuve d’une imagination exubérante. L’agitation brownienne de la soupe originelle avait laissé place aux premiers organismes, dans une explosion de formes baroques et colorées. Il avait assisté aux tâtonnements de ces êtres vivants à la sortie de l’eau, puis à la multiplication des arbres, des fleurs, des insectes et des reptiles. Happening permanent, vif et surprenant. Le spectacle le ravissait. Quel contraste avec les planètes voisines, grises ou rouge, inertes, muettes, balayées de vents inhospitaliers. Et voilà que débarquaient les ébauches humaines, puis l’homo sapiens fit son apparition…
Le Soleil ne se lassait pas d’admirer sa chouchoute. Il rayonnait, au sens propre comme au figuré. Cette merveilleuse aventure se déroulait grâce à lui. La vie lui devait son énergie, sa tiédeur, sa lumière… D’ailleurs, sur Terre, on l’adulait. Un peu partout, les hommes avaient fait de lui une divinité. En Égypte, dans l’empire Inca, chez les Chinois, chez les Indiens, la forme de vie la plus élaborée de la planète bleue reconnaissait le rôle essentiel de son astre solaire. Ces attentions flattaient son ego, il l’admettait sans fausse modestie. Son bonheur était à son comble.
Il observa ainsi l’évolution humaine, l’histoire des civilisations, les inventions extraordinaires, la créativité artistique. Cette effervescence le réjouissait. Las, à l’échelle de l’éternité, cela dura le temps d’un souffle. Les choses agréables ont une fin. L’homme, ce petit bijou, semblait dévier de la voie royale que lui avait tracée la nature. Il se mêlait de devenir lui-même un créateur et, dépassant les ambitions placées en lui, jouait aux apprentis sorciers. Passe encore qu’il ait inventé le feu, il voulait maintenant dompter toutes les formes d’énergie. En quelques siècles, l’astre du jour accumula les déconvenues. Plus question d’être divinisé. L’homme avait oublié les bienfaits de sa vieille étoile et s’imaginait capable de s’en passer. La créature humaine, matérialiste, orgueilleuse, motorisait ses transports, effaçait les différences entre le jour et la nuit, gommait les contrastes entre l’été et l’hiver. Elle domestiquait l’atome et exploitait son sous-sol. Ce faisant, sans le savoir, elle échauffait consciencieusement sa planète, lui faisant courir de graves dangers.
Le Soleil observait ces dérives. Les premiers temps son orgueil en avait souffert. Cela ne dura pas. Être considéré comme un dieu lui plaisait, mais il préférait la satisfaction du devoir accompli. Il continuait à s’acquitter parfaitement de sa tâche. Il chauffait. On l’avait mis là pour ça. L’homme, lui, réchauffait. La nuance était d’importance. La créature ambitieuse avait lancé une mécanique infernale dont elle était très fière et qui allait la faire disparaître, victime de ses outrances et de son aveuglement.
Certes le Soleil s’était attaché à l’être humain, à son charme, à son originalité. Mais d’autres espèces avaient disparu avant lui. Les dinosaures, par exemple, qu’il adorait. Quelle puissance, quelle variété. Ils n’avaient pas résisté à une grosse météorite. À l’époque l’astre royal s’était fait une raison. Pour l’homme ce serait la même chose. Personne n’est irremplaçable. La planète survivrait à la disparition de l’humanité, même si l’homo sapiens entraînait dans sa perte quelques écosystèmes sympathiques et une poignée d’espèces fragiles. D’autres formes vivantes viendraient prendre les places laissées libres. La Terre s’était jusqu’ici adaptée à tout. Elle saurait surmonter cette nouvelle péripétie.
Le temps d’y penser c’était fait. Plus trace d’un être humain sur la Terre. Le Soleil relativise l’événement. Il le sait, son lopin d’univers est négligeable à l’échelle de l’infini. Le monde file vers l’éternité. L’histoire de l’Homme n’y laissera aucune trace. Elle est déjà oubliée.
Le Soleil brille. Sa planète préférée a toujours besoin de lui. Il la couve d’un regard inchangé, celui du père qui a vu sa fille s’émanciper et se réjouit de ses choix d’adulte. Et de fait, la Terre resplendit. Il y fait chaud. Des végétaux improbables y prospèrent. Des animaux inédits s’y reproduisent. La vie continue. Le Soleil est heureux.
2ème prix
« Immobilier tellurique » de Monsieur Bill François
Immobilier tellurique
C’était la première planète que j’avais construite, et la première que je vendais ainsi. A l’époque, construire une planète prenait du de temps, et j’avais mis du cœur à l’ouvrage. L’idée de la vendre m’avait été difficile à accepter, mais souhaitant acquérir un bel appartement en centre-ville, je ne pouvais faire autrement. Et le prix qu’on m’en proposait tenait à lui seul du miracle. Les acheteurs n’allaient plus tarder ; d’un doigt distrait, je fis défiler l’annonce sur ma tablette, les clichés de ma planète sous ses plus beaux angles, et les commentaires pour expliquer combien ma planète était agréable à vivre et bien pensée. Je savais qu’elle était en fait plutôt ringarde, loin du style, du confort de notre époque, mais j’étais certain de pouvoir séduire des acheteurs fauchés ou un peu bohêmes. Dans la pénombre du soir, je me remémorais l’époque où je construisais ma planète, longtemps avant qu’elle ne devienne « spacieuse et bien aménagée », comme j’avais écrit sur l’annonce.
J’étais alors un des premiers à me lancer dans la construction d’une planète. On venait tout juste de terminer de bâtir la première génération de planètes, et quelques entreprises remportaient déjà d’alléchants succès dans ce domaine. C’étaient de vastes projets, à long terme, mais j’étais jeune, j’avais les cheveux longs et l’esprit bricoleur. Cela ne me paraissait pas inaccessible. On savait déjà presque tout construire : des aéroports, des cités, des îles, des montagnes. Une planète, après tout ce n’était pas beaucoup plus complexe.
Il me fallut d’abord choisir un emplacement bien lumineux, dans un système solaire assez proche, à l’intérieur de la petite couronne d’astéroïdes. En ce temps-là les prix n’étaient pas ce qu’ils sont devenus et je fis une assez belle affaire. Pour le gros œuvre, ce fut plus difficile. Peu d’entreprises savaient bâtir sur du magma, et encore moins acceptaient de se déplacer pour des chantiers extragalactiques. Je passais tout mon temps libre à relire des devis, à calculer les quantités optimales de matières premières à commander. Je finis par trouver des entrepreneurs qui me garantirent le moulage d’une planète à peu près ronde. Dans l’idéal, j’eus préféré une autre forme plus originale, un pavé, ou même un disque, mais renonçai devant la complexité du projet.
L’ébauche de planète que je vis donc pour la première fois au télescope, couverte d’échafaudages, ressemblait à un grand rocher Ferrero, avec un noyau en fer croustillant, et à l’extérieur, des pépites qui perçaient sous le manteau et allaient devenir les montagnes. Elle n’avait pas fière allure, mais qu’importe, j’étais un pionnier. Aux suivants de faire du beau travail. Au moins, cela allait tenir, et n’allait pas être obsolète à la première supernova venue, comme les planètes jetables que l’on fait de nos jours.
Et personne n’irait regarder l’intérieur de ma planète. J’y saupoudrai quand même des minerais variés par endroits, comme des éclats de sucre arc-en-ciel sur un glaçage, car selon des tutoriels d’experts, cela allait donner plus tard de belles couleurs aux roches en formant des oxydes.
Puis pour aménager ma planète, j’en recouvrai une grande partie avec de l’eau, ingrédient optimal pour y faire évoluer de belles formes de vie. Cela résolut joliment le problème de la couleur : je voulais une planète colorée, mais n’avais pas les moyens d’ajouter plus d’oxydes ou de produits chimiques et pigments onéreux. Couverte d’eau, ma planète était bleue. D’un bleu profond, strié de longs nuages en transparence, comme des incrustations de quartz dans une pierre précieuse. J’y mis un seul continent, au centre. On voulait m’en vendre plus, mais je savais bien qu’il allait se fracturer de lui-même en plusieurs entités, habitables séparément.
Même si, je ne prévoyais pas d’y habiter, j’éprouvai une grande joie à aménager ma planète. Cela me rappelait les magasins de modélisme où je rêvais enfant, en regardant les figurines lilliputiennes se presser aux arrêts de trains miniatures, parmi des mondes immensément petits en flocage et en mousse. Tel un modéliste, je fis étaler sur ma planète de longues plages sur les côtes, traçai des fleuves, des archipels. Je fis installer des volcans turbulents, un astucieux système thermique, des courants marins qui, vus de loin, ressemblaient aux grands tourbillons sur la mousse du café, mais en bleu.
J’y ajoutai également tout ce qui était beau mais qu’on ne pouvait plus trouver de nos jours : des glaciers d’un blanc lumineux, des récifs de corail qui sentaient l’iode à marée basse, des séquoias, des pandas. Et des endroits où ne rien faire serait agréable : des lisières de forêt orangées à la tombée du jour, des estuaires où des mouettes s’ébrouaient avec des cris étranges, des rayons de lumière à travers les feuilles. Je ne visitais pas souvent mon chantier trop éloigné. Mais le peu que j’en voyais à chaque visite me faisait espérer qu’un peintre vienne y habiter, pour fixer ces instants avec des couleurs et des traits.
Avant même la fin des travaux, je croulais sous les offres d’agences de location. Les contrats étaient presque signés lorsqu’un drame arriva. Il me fallait en effet soumettre ma planète à expertise, afin de vérifier qu’elle répondait bien aux nouvelles normes locatives de sécurité et d’hygiène. J’avais bâti ma planète au temps des pionniers, sans savoir que ce temps était déjà fini, que l’avancée du monde l’avait déjà ficelée dans ses carcans trop sûrs. L’expertise fut sans appel. Ma planète ne respectait aucune des normes. Risques d’inondations, de séismes, climat trop aride ou trop pluvieux, marais insalubres…. Le monde avait légiféré, et pour louer une planète, il me fallait la couvrir d’une douceur tempérée, de vergers de fruits sans pépins et d’eaux tranquilles sans rochers glissants, où les habitants auraient tous pied. Nul espoir de mettre ma planète aux normes à un coût raisonnable. Fort de cette expérience, je décidai de construire à crédit d’autres planètes, et de les vendre, bien assurées, avec tous les standards de sécurité. Je fondai même une entreprise qui fut pionnière dans la construction d’étoiles et le remblaiement de trous noirs.
Ce n’est que récemment que je décidai de vendre ma première planète, sous le manteau. J’eus la chance de trouver des acheteurs.
Un jeune couple, l’air un peu artiste se présenta. « nous venons pour l’annonce ». Ils avaient largement les moyens de s’offrir ma planète, et souhaitaient y habiter, pour « prendre un nouveau départ, dans une nouvelle vie, élever leurs enfants loin de la pollution ».
Lors de la visite virtuelle, à chaque image, l’homme hochait la tête, faussement expert, et la femme disait, « c’est bien, ça » en variant le ton.
« Elle est très bleue » fut la seule exclamation de mon acheteur. Je le rassurai : de l’intérieur, on voyait moins la couleur, seul le ciel au-dessus paraissant bleu, comme un grand papier peint.
« Il n’y a qu’un seul satellite » remarqua l’épouse de manière plus anecdotique. J’acquiesçai, ajoutai que c’était par souci de simplicité pour la régulation du climat et des marées, même si je savais bien qu’au fond, j’avais fait la partie satellites au rabais.
« On l’achète » conclurent-ils sans négocier. Sans doute étaient-ce de ces bourgeois pressés de changer de vie sur un coup de tête avant que la raison ne revienne…
L’esprit un peu vide, je leur laissai l’acte de propriété de ma planète bleue. Ils me tendirent le montant, moitié chèque moitié espèces, comme convenu. Je les regardai s’éloigner par la fenêtre. Ils semblaient heureux. Je l’étais aussi. Les acheteurs ne donnèrent jamais de nouvelles, mais ils m’avaient dit vouloir être « coupés du monde ». Des alternatifs écolos, bobos écœurés par la vie moderne, bien les seuls à pouvoir m’acheter une planète pareille au noir. Ils semblaient honnêtes mais je ne sus jamais ni leur profession, ni leur nom de famille. Même sur le chèque, ils avaient signé de leurs prénoms Eve Adam.
3ème prix
« La Globulle Bleue » de Monsieur Emmanuel Broc
La GloBulle Bleue
Pffuuuiff !
Pneu avant à plat ! Zut et zut ! Zoé regrette d’avoir emprunté ce chemin bordé de ronciers. Il faut dire qu’en ce joli mois de mars les mûres y sont charnues et succulentes. Difficile de résister à la tentation d’une promenade quand on sait qu’elle sera ponctuée de ce savoureux goûter. Zoé sourit. En sifflotant sous les piaillements courroucés des mésanges et des chardonnerets, elle cueille encore quelques baies afin de prendre des forces pour le retour à pied, puis saisit le guidon de son vélo et prend la direction de la ferme.
Blourp ! Blourp, blourp, blourp !
Tim lui avait dit « Pour trouver la fuite, tu trempes la chambre à air dans l’eau ! » Alors sitôt arrivée dans la cour de la ferme, Zoé a démonté la roue, enlevé le pneu et fièrement brandi le cerceau de caoutchouc noir autour de son front. Une véritable reine, avec une couronne bien grande pour sa petite tête ! Hélas personne pour l’admirer. Ni Tim, son cousin, ni tante Adèle et encore moins oncle Marceau. Dommage ! Zoé a pris le premier baquet plein qui se présentait, y a plongé la chambre à air… Blourp ! Blourp ! Voilà, le trou est là. De fines bulles s’échappent de l’enveloppe et remontent exploser en surface. Un peu comme les bulles des geysers d’eau soufrée au milieu des champs de lave à quelques kilomètres plus au sud.
Tante Adèle avait eu raison d’oublier son baquet. Le baquet destiné à la lessive, rempli d’eau savonneuse. Zoé s’en réjouit quand une première grosse bulle naît au contact de l’air et s’envole, légère, vers l’azur. Aux rayons du soleil, sa surface s’irise des couleurs de l’arc-en-ciel. Une bulle aussi grosse que la mappemonde qui trône dans le bureau d’oncle Marceau. Au gré du vent et des jeux d’ombre et de lumière, Zoé croit deviner la présence des continents qui se distordent…Comme dans la réalité !
Depuis le réchauffement climatique, la fonte des icebergs et la montée des eaux, beaucoup habitent des cités lacustres accrochées à des îles artificielles. D’autres ont gagné les zones montagneuses émergées. Zoé, elle, vit dans le Morvan et ses monts arrondis au nord du Massif Central. De temps en temps, avec oncle Marceau et Tim, ils gagnent en ballon dirigeable les sites culminants du vieux massif. Histoire de faire le point, affirme l’aïeul. Ce n’est pas sans danger et la prudence est de mise. A quelques lieues, des volcans endormis se sont réveillés et se sont ébroués de feu et de lave incandescente pendant plusieurs semaines. La terre tremblait à chaque éruption. Zoé se souvient encore des secousses perçues à des centaines de kilomètres à la ronde. Puis, du jour au lendemain, ils se sont rendormis. Ne subsistent alentour que de vastes étendues de roches pétrifiées et de cuvettes où l’eau bouillonne et s’échappe en vapeur.
De là-haut, dans la nacelle, le trio observe et note les mutations régulières de la géographie. L’eau a noyé maintes vallées. Les terres se sont divisées, morcelées.
Zoé est restée interdite devant le dernier reportage passé aux infos. Les continents ressemblent maintenant aux grains épars que tante Adèle jette aux poules ou aux éphélides dorées qui illuminent ses pommettes et ses joues.
Les saisons n’existent presque plus. Enfin, pas sous le cycle habituel et bien connu du dernier siècle. Des pluies de mousson ont inondé des déserts. Des steppes sont nées aux pôles. La lente agonie du permafrost a, entre autre, libéré méthane, virus et bactéries. Pendant les canicules de novembre et de décembre, l’air devient irrespirable et porteur de tous les dangers. Chacun vit cloîtré, à l’abri des températures extrêmes et des vents pollués. En janvier des pluies diluviennes lavent tout et préparent à la renaissance. Flore et faune se sont adaptées. La vie perdure au-delà des catastrophes climatiques, un peu comme autour du site de Tchernobyl il y a soixante-dix ans.
Zoé sait que son destin est lié à la Terre, cette petite sphère bleue, ce satellite devenu si fragile, à la merci d’un soleil nécessaire et pourtant de plus en plus ravageur. Oncle Marceau le lui a encore dit pas plus tard qu’hier. Ponctuant, comme à l’accoutumée, son propos de mots obscurs et d’orbes étranges qu’il dessine du bout de son bâton. Il a promis, qu’un jour, il lui révélerait des secrets pour sauver la planète. Zoé est en admiration devant son infini savoir. Lui est ébahi par sa soif d’apprendre. Il l’a gentiment surnommée « ma Globule », à cause de sa petite taille. Zoé peste à chaque fois, mais en son for intérieur elle sourit à cette pudique marque d’affection.
Des bulles s’échappent et s’envolent du baquet. Certaines fusionnent en une bulle unique. Zoé cherche à faire naître la plus grosse. A l’intérieur, emprisonné, l’air. L’oxygène. A l’intérieur, l’amour que la fillette met pour façonner, sans les éclater, les bulles aériennes. Zoé se dit que ces bulles collées les unes aux autres, comme celles réunies dans les films pour protéger les objets frêles et précieux, pourraient créer un voile immense et étanche. Un voile capable de préserver la Terre. Cette Terre dont l’avenir apparaît de plus en plus précaire au sein de l’univers.
Vingt-cinq ans ont passé. Zoé est une jeune femme dynamique, toujours aussi curieuse et intrépide. Après des études de science en physico-chimie et l’obtention de nombreux diplômes, elle est devenue une chercheuse reconnue. Sauver la planète est aujourd’hui un défi majeur, incontournable, aux enjeux immenses. Un défi que Zoé a relevé. Un projet qu’elle a pris à bras le corps et fait sien : stopper la montée des eaux, lutter contre le réchauffement climatique et rendre l’atmosphère respirable à jamais pour les générations futures. Il en va de la survie du Monde. De sa propre survie.
Zoé revient parfois se promener sur les chemins bordés de ronces. Les mûres ont fini par mûrir en août et les passereaux continuent de pépier avec véhémence quand elle s’avise de cueillir les baies noires et sucrées. S’ils savaient que c’est bien grâce à elle, et à son équipe, qu’ils peuvent s’ébattre et se nourrir comme jadis !
Tous les mois, elle rend visite à tante Adèle et cousin Tim qui vivent toujours à la ferme.
Elle repense à son oncle qui fut à l’origine de sa vocation et de sa passion. A chaque fois qu’elle entre dans le bureau, elle le revoit, cheveux ébouriffés, penché sur des cahiers noircis de chiffres, de symboles et de dessins. Rien n’a bougé. Il lui avait fait le plus beau des cadeaux en lui enseignant des secrets physiques. Des secrets chimiques. Des équations aqueuses. Des formules de stabilité de composants atomiques et d’aérosols salins. Et tout un tas de révélations sur les pouvoirs des ions. Sur la complexité de la polymérisation hydrophile et son équilibre.
Aujourd’hui, Zoé les a appliqués à ce projet qu’elle avait rêvé un jour en réparant sa roue de vélo. Eau. Air. Bulles d’air. Oncle Marceau serait si fier de sa « Globule » !
Un temps, il y avait Saturne et ses anneaux. Aujourd’hui il y a la Terre et ses bulles. Trois bulles troposphériques gigantesques, les unes à l’intérieur des autres, à quelques douze mille mètres d’altitude. Le globe terrestre est au centre. Noyau d’une bille dont la triple surface extérieure, constituée de bulles d’eau, de carbone et de gaz rares, est semblable à la membrane transparente d’une cornée. Ces trois couches font écran et préservent les cycles des saisons qui ont fini par réapparaitre. Les deux couches externes, maintenues par un champ magnétique, absorbent la chaleur des rayons. La vapeur d’eau se condense sur la paroi liquide la plus interne. L’hydrogène se fond dans l’eau lourde grâce aux ionisations solaires et l’oxygène naît des réactions chimiques.
En souvenir de son surnom, Zoé a baptisé la structure aqueuse « GloBulle » – condensé de globe terrestre et de bulle. Le système protecteur qui fournit de l’oxygène est devenu symbole de vie, comme un globule rouge. Par filiation et par analogie à la vision céleste de notre planète naquit la « GloBulle Bleue ».
Le samedi 23 mars Monsieur François Chollet , présent reçu en main propre son 1 er prix et fit un beau discours de remerciement , Monsieur Bill François s’était excusé de son absence et avait envoyé une lettre que vous pouvez lire ci-après
Cher Jury bonjour,
Les épisodes SNCf actuels m’ayant laissé sur la grève, m’empêchant de prendre le large avec vous à Thénac, je voulais toutefois vous dire quelques mots, par procuration.
Je souhaite avant tout remercier la ou les personnes qui ont choisi ce sujet.
Je voudrais vous conter combien ce bleu m’a sorti de la grisaille hivernale parisienne.
Planète Bleue est un thème qui me fait voyager depuis toujours. Il me rappelle d’abord l’émotion de mon premier vols en avion, puisque c’était le nom du programme pour enfants d’Air France, qui nous distribuait bonbons et coloriages. Je me suis d’ailleurs toujours demandé pourquoi les coloriages qu’ils distribuaient avaient des crayons de toutes les couleurs, et non seulement des bleus. Yves Klein a été créatif pour moins que ça.
Mais laissons là l’avion, car je regrette amèrement de n’en avoir pris de billets pour venir aujourd’hui au lieu de tenter de venir par le train. Je me disais que prendre l’avion serait moins bon pour la planète. Du coup je me suis fait avoir comme un bleu, d’où ma colère de la même couleur.
Après les souvenirs, la planète bleue m’a ouvert l’appétit. Selon le boucher ou la carte du Buffalo Grill, une planète bleue serait une planète très peu cuite, juste saisie, et encore fondante et fraîche à l’intérieur. Un peu croustillante en dehors, grillée par les rayons du soleil. Bien plus appétissante en somme que la planète actuelle, sur-cuite par le réchauffement climatique, bouillie à l’étouffée par l’effet de serre. Mais toutefois plus cohérente qu’une planète tartare, hachée en morceaux de météorites, avec des comètes en guise de câpres. Pour les végétariens, une planète bleue peut également être constituée de fromage du même type – l’occasion pour moi de regretter à nouveau n’avoir pu me déplacer dans la région, terre de la Caillebotte, de la Jonchée, et du Tricorne de Marans – au lait cru – dont j’aurais goûté avec plaisir. Mais laissons également l’astronomie et la gastronomie, car je n’aurai même pas l’occasion de goûter à l’éventuel goûter de fin de remise des prix, et de savoir s’il est digne ou non d’un cordon bleu.
J’aurais dû venir en voiture. Et espérer, en constatant la difficulté de stationnement, que les hommes construiront un jour une planète bleue, une planète entière en zone bleue, où se garer serait, au moins pour un moment, gratuit partout, sans risque d’attraper un de ces petits papillons bleus, que posent des hommes en uniforme de la même couleur, et dont nous avons tous une peur bleue.
La terre est bleue comme une orange disait un poète qui ne travaillait sans doute ni chez Truffaut ni chez tropicana. Le mois dernier, c’était la « lune bleue de sang » qu’il fallait à tout prix observer dans l’azur. Si ces appellations ne sont pas d’origine aussi contrôlée que le bleu de Prusse, d’Auvergne, du Vercors ou de Méthylène, Il est clair – céruléen même – que la lune et la terre ne sont pas des planètes comme les autres. Heureusement, car c’eût été alors un des astres. Schtroumpfement un désastre, ajouterait le grand schtroumpf, qui n’a pas joué dans le grand bleu.
J’aimerais également remercier les membres du jury qui ont apprécié mon conte bleu un peu fleur bleue, comme ceux qui ont pensé à sa lecture que je ne m’étais pas foulé, du moins ne m’étais pas fait de bleus.
Remercier les mécènes, pour leur prix, de la part de ma carte – bleue elle aussi.
Et remercier toutes celles et tous ceux qui ont œuvré pour l’organisation de ce festival. En tant que scientifique on m’a enseigné que le ciel était bleu grâce à l’action de toutes ses molécules d’air qui diffusent la lumière bleue dans toutes les directions (et non les lumières d’autres couleurs, comme le rouge, qui n’est diffusée que lorsque le soleil est bas, à son lever ou à son coucher ; à l’heure bleue).
Je suis certain que, comme ces molécules, nombre d’entre vous ont œuvré dans l’ombre pour réussir à faire briller ce festival.
Ce fut un immense plaisir pour moi de participer à ce concours, et j’espère avoir l’occasion de vous rencontrer prochainement, et de découvrir votre coin de ciel bleu.
Bill