Le jury a choisi la nouvelle gagnante pour cette édition 2022. .
La gagnante est la nouvelle: « Puis, un jour« , citée 7 fois en première place sur un jury de 10 personnes.
La lauréate se nomme Christelle Gerald – 42 ans.
C’est une charentaise qui habite à la Rochelle.
Les deuxième et troisième sont : « l ‘ado et le bateau livre » et » la fille unique aux quatre soeurs » .
Les résultats ont été présentés au public lors du festival: le dimanche 10 avril à 11h/11h30 salle Hélène Neveur.
Bravo à tous et en particulier à notre lauréate de notre concours de nouvelles édition 2022 !!!
« Puis, un jour« , de Christelle Gerald
Pour Madame V., avec toute mon affection
Puis, un jour…
Les livres et moi…
C’est une grande histoire d’amour… qui a pourtant mal commencé !
Après plusieurs mois sur les bancs du CP, la magie n’avait pas opéré et le mois de juin arrivé, le verdict était tombé : « Cette enfant ne sait pas lire ! ». Sage petite brune à la frange bien droite et aux grands yeux candides, sensible et rêveuse, où mon esprit avait-il vagabondé ? Je ne saurais répondre. Et ne me demandez pas le nom de la maîtresse, il est aux oubliettes. Ne me demandez pas non plus la méthode de lecture avec son adorable personnage censé donner envie aux enfants, il est passé à la trappe. Je me souviens très bien cependant de la convocation à l’école de mes parents, de la colère de mon père et du désespoir de ma mère. Qu’allait-on faire de moi ?
Le soleil brillait en cette fin d’été, les copines profitaient des derniers jours de vacances mais, pour moi, la rentrée des classes avait été prématurée. Cours de rattrapage ou de la dernière chance, allez savoir, en tout cas, l’heure de la sentence avait sonnée : lire ou mourir (de honte pour mes parents !). Ces derniers m’avaient trouvé une préceptrice, notre voisine, ancienne institutrice. Punition suprême quand on a six ans et l’envie de galoper dans la nature, devoir s’enfermer pour décrypter des hiéroglyphes et se transformer si possible en Champollion. Disciplinée et défaîtiste, je m’abandonnais à mon triste sort.
Madame V. me présenta un vieux livre en noir et blanc avec des paragraphes écrits en gros caractères. Elle l’ouvrit à une page, au hasard, me sembla-t-il à l’époque. En quelques lignes, elle avait convoqué les animaux de la forêt pour m’inviter au voyage dans cette contrée inconnue et dangereuse. Vous rappelez-vous ces lettres qui s’élancent, s’enchaînent, se mêlent, s’amoncellent et vous submergent ? Qui sussurent, murmurent, chuintent et grincent en même temps ? Bref, à chaque fois, littéralement le tsunami, le cataclysme, la fin du monde…
Jusqu’à cet instant où un petit hibou fit entendre un faible hululement : « hou… ». Il me fallut tendre l’oreille, ouvrir les yeux pour le retrouver dans le paragraphe. Il m’attendait sagement.
Le hibou fait « hou… hou… ».
En un coup de baguette magique, suivant cet oiseau de nuit, un sentier se frayait dans la forêt des lettres, elles dansaient et chantaient pour moi seule, chuchotant dans ma tête une courte histoire. Finalement, patiente et confiante, ma « marraine la bonne fée » s’était incarnée en madame V. et m’offrait le plus beau des cadeaux.
Un univers singulier s’ouvrit enfin à moi. Il s’enrichit d’amis de papier qui portaient parfois de drôles de noms : Oui-Oui, le Club des Cinq, Fantômette, Martine, les quatre filles du Docteur March, Cosette. Et tant d’autres. Ils me faisaient vibrer, rire, trembler ! Tout texte était à goûter, à déguster et savourer, voire détester. Je découvris aussi des lieux emplis de trésors qu’on nomme librairie et bibliothèque. Dans le grand livre de ma vie, une page avait été tournée et une nouvelle s’écrivait.
Les années passant, la dévoration se poursuivit. Parfois avec moins de goût quand l’exercice se voulait trop scolaire, Balzac et Zola devenant assommants à force d’être décortiqués. Parfois avec jubilation quand le texte se veut incisif et grinçant, sous la plume de Vian. Parfois avec délectation quand les mots épousent la beauté. Comment transcrire la force évocatrice et la succulence des vers au détour d’une poésie ou d’une tragédie ? Aragon et Racine se transformaient en chefs d’orchestre, entonnaient une symphonie et me filaient des frissons.
« Mais enfin, lequel, dans cette mer de livres, vous a influencée ? », allez-vous me demander. Patience, on y arrive.
Finalement la lecture m’avait embarquée dans une aventure au long cours, loin.
Elle fut ma boussole dans le grand labyrinthe de la vie, je suivais les méandres qu’elle traçait.
Bref, la lecture comme un phare dans la nuit…
Puis, un jour, l’urgence de dire, de trouver les mots pour écrire, traduire, sublimer ce qu’on vit.
Dire à l’absent le plus important.
Ne pas y arriver. Par pudeur ou par fierté.
L’histoire pour transformer mon histoire.
Les mots avaient été des compagnons de voyage, ils allaient devenir mes alliés.
Ainsi, telle Alice au pays des merveilles, je basculai de l’autre côté et décidai, à mon tour, d’écrire.
Douloureux exercice. Des mots venaient, se bousculant parfois, des bribes s’inscrivaient, aucun récit n’aboutissait. Les phrases volubiles s’imposaient au silence, les mots justes se cachaient. Vertige de la page blanche à peine noircie. Nul auteur pour venir à mon secours. Colette, Kessel, Neruda, Kerouac et tant d’autres figuraient aux abonnés absents. Ils devaient faire la fête tous ensemble, me laissant seule avec mon mutisme et mon impuissance. Tourment absurde de l’apprentie. Bercée par la poésie de Rimbaud, perdue dans les longueurs de Proust, nourrie du style épuré de Yourcenar, admirative de l’écriture ciselée de Duras, je naviguais dans des eaux troubles où les mots-vagues ne m’obéissaient pas.
C’est à ce moment-là qu’un livre embarqua avec moi. Un passager clandestin, au nom inhabituel et long, s’invita. Il se présenta, poliment, puis, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part* s’assit tranquillement à mes côtés et, de manière presque tendre, entama un récit. Et un deuxième. Et encore un autre. Car il en recelait plusieurs. Il me narra des histoires emplies de fiertés, de failles, de joies, de peines et d’espoirs, dans ma langue. Portraits des gens d’aujourd’hui, de monsieur et madame tout-le-monde, dans leur singularité, gais, blessés, lucides, courageux, embrouillés, jamais pathétiques, vivants.
Lentement, les paroles de cet inconnu s’insinuèrent en moi, réchauffant mon cœur, parcourant mon corps, fissurant mon carcan, éveillant ma voix. Il n’y a pas d’exercice de style. Nul besoin de s’inspirer, d’imiter, uniquement la nécessité de se séparer. De trouver son identité et sa liberté de ton. J’eus l’impression de venir au monde une seconde fois. Raconter, en quelques pages, l’intensité de la vie, ces instants fascinants où tout bascule. Et suivre simplement le cours de la langue-fleuve. Les conteuses de jadis murmuraient dans ma tête tandis que je reprenais la barre de mon bateau-livre. Mon passager avait débarqué comme il avait embarqué, subrepticement. Il me restait de lui une trace invisible et indélébile. Comment ce voyageur inattendu avait-il pu me libérer ? Une fois de plus, je ne saurais répondre. Je ne peux que le remercier de m’avoir fait naître écrivaine.
* Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, Anna Gavalda, 1999