Hommage à Axel Kahn

Hommage à Axel Kahn

Axel Kahn

Le 6 juillet 2021, nous apprenions avec une grande tristesse le décès d’Axel Kahn.

En 2015, il était l’invité d’honneur du festival de Thénac. Tout a été dit sur le parcours exceptionnel de cet homme mondialement connu, chercheur, professeur de médecine, généticien et écrivain.

A Thénac, le public faisait en permanence une longue queue devant sa table de dédicaces et de nombreuses personnes n’ont pas pu entrer dans la salle comble où se déroulait un long échange avec lui. Il nous a parlé de son plaisir de traverser la France à pied, mais aussi de sa vision du monde profondément humaniste.

Axel Kahn dédicaces                                  Axel Kahn

Il était gai, charmant, totalement accessible et très heureux de participer à un festival situé dans un village.

Axel Kahn

Nous sommes tristes mais aussi fiers de l’avoir rencontré.

Merci Monsieur.

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Publication de la nouvelle gagnante

La nouvelle gagnante

Le jury s’est réuni vendredi 25 juin et a choisi la nouvelle gagnante pour cette édition 2021.  .

9 nouvelles ont été les plus citées par le jury (ordre de préférence du jury) :

  • Un des Estables
  • Voyage en eau lourde
  • L’héritage de Juliette
  • VIT
  • Les enfants de l’itinérance
  • Terre promise
  • Un saxo sous la lune
  • En coulisse
  • :Départ

Mais une nouvelle est ressortie des délibérations du jury qui attribue  le premier prix à

 « De mes yeux ».

de Aurélia LESBROS domiciliée à Cabestany dans les Pyrénées-Orientales.

Bravo à notre lauréate de notre concours de nouvelles édition 2021 !!!

De mes yeux

Postée aux premières loges, je bois de mes yeux trop secs le spectacle de la rue. J’admire, contemple, me désole ; je m’enivre d’elle, de son nectar, ses travers, des exhalaisons du pavé. Je scrute les hommes, sonde les âmes, analyse leurs variations de lumière, leurs clairs-obscurs. J’observe les humiliations des uns, le vide des autres, mais je m’abreuve aussi parfois, de quelques moments de grâce. Et puis j’ai un pouvoir : je vois les gens comme personne. Ce don, c’est grâce à lui ! Il m’a appris à regarder, à saisir, à presque tout cueillir avec mes yeux…

La nuit, je ne sens pas le froid. Le matin, les odeurs de camions-poubelles ne me gênent pas. Je trouve même un air romantique à leurs visages d’ogres quand ils passent devant les abribus aux affiches tapageuses. La porte cochère où je me réfugie trop souvent malgré moi, sent l’urine et l’adultère, la violence et le mauvais vin, l’attente inexorable.

Notre position stratégique me permet d’observer les files de voitures interminables et tous ces gens pressés, par obligation ou juste par principe. Coincés dans des embouteillages aux aspects de dominos, ils transpirent l’urgence. Certains, se pensent à l’abri des regards et se grattent grossièrement des tas de parties du corps. Certaines se remaquillent déjà, alors qu’il n’est pas neuf heures. D’autres chantent faux, à contretemps, prenant le volant pour un instrument de percussion. Il y a aussi ceux qui téléphonent, ceux qui rêvassent, qui doutent, et d’autres, aux mines satisfaites, aux sourires de vie réussie.

Mon homme a l’œil franc mais fatigué, la main tremblante d’avoir trop espéré, et des jambes presque aussi raides que les miennes. Avec sa calvitie de tracas plus que de génétique, il se farde de patience, s’arme de bonne humeur, meilleur rempart à la morosité des autres. Il esquisse des sourires sincères au rythme de bottes lentes, talons pressés, petits pas de ballerines. J’ai toujours trouvé qu’une cadence sur un macadam, un choix de chaussures, en disent long sur la personnalité des gens… C’est d’ailleurs comme ça que je scanne âmes et desseins.

Pas loin de chez mon homme, il y a un vieux photomaton qui enregistre et qui comme moi, voit plus que tout ce que l’on peut imaginer : bouches grimées de conventions, doigts maquillés de promesses par un anneau devenu trop lourd, étreintes forcées. La vérité laisse toujours une trace d’elle quelque part.

J’aime vivre près de mon homme. Je le suis partout, dans chacune de nos errances. Nous avons lié nos itinéraires de vie. Notre relation est unique. Elle n’a pas besoin de mots.

Lui, est d’ailleurs bouleversant par tout ce qu’il ne dit pas. Il s’est accommodé de la solitude, l’a même apprivoisée. Sa vie singulière n’a la couleur de rien ni de personne. Moi, je suis sa paire, il est la mienne. On se suffit à l’autre. La vie ne lui a pas permis de pouvoir prendre soin de sa personne ; il n’a jamais eu l’occasion de récupérer ce que la dignité lui a ôté, alors il s’est payé le plus grand, le plus cher, le plus inestimable des luxes, dans un flacon de bohème : la liberté !

Je suis fatiguée de nos déplacements. La ville me frustre. Lui et moi, rêvons désormais campagne et clochers, places de villages, vieux alignés sur des bancs avec liseré d’enfance dans la pupille. On veut s’offrir du vert, du large, du sable picoré par un océan moutonneux. On commence à se lasser de ce champ de parapluies, des forêts de néons, de ce jardin de pots d’échappement. Nous espérons partir bientôt. La liberté peut être encore plus libre.

Chaque jour, mon homme me sublime, me rend belle et poétique pendant une heure et demi, moi qui suis pourtant petite et limitée. C’est un manipulateur digne de ce nom ! Selon la saison, face à des groupes clairsemés drapés de critiques ou aux armées de touristes tatoués de coups de soleil, il lutte, exhibe, régale. Grâce à lui, je ne commets aucun faux pas. Il me maîtrise, me contrôle. Pour lui, je me meus corps et âme, me plie au moindre désir de son imagination. Il me saupoudre de fantaisie et tel un prestidigitateur, il me prête du prestige. Après la liesse, quand tout retombe, je me repose enfin. Je cesse de m’agiter dans tous les sens. J’aime voir la lune se coucher dans son crépuscule et éteindre son sourire quand elle seule l’a décidé. Toutes les nuits, après ce spectacle si beau et naturel, je compte les moutons, les étoiles, les néons.

Ce jour-là, ou plutôt cette fin de soirée-là, j’ai scruté la foule plus que de coutume. J’ai vu des curieux, des extravagants, des attentifs. J’ai croisé des petits avec des yeux trop grands, des grands avec des cœurs trop petits. J’ai observé les couples sereins, amoureux, en baskets neuves, les femmes trompées aux bottes abîmées, les maris aigris aux chaussures mal choisies, les fatigués aux semelles usées, les fortes têtes aux talons-aiguilles sans concessions. Ça marche tout le temps et dans tous les sens ! J’ai recensé quelques grabataires que plus rien n’enthousiasme, quelques blasés que plus rien ne réchauffe ; la vie, sa banalité, son ennui. J’ai aussi entraperçu le mépris et l’indifférence. Je ne sais pas au fond ce qui me dérange le plus, car mes yeux se plissent automatiquement sous ce type de lumière.

Dans mon radar à hauteur de pieds, je n’ai pas non plus de capteurs à indécence et perversité, couleurs qui me sont inconcevables. Je n’ai pas vu l’ombre se glisser dans ma rue, notre rue. Je n’ai pas senti le relent du vice. Mon flair a failli, ma vue a baissé, en même temps que la lumière du jour. La rue ne s’était jamais mise entre nous jusqu’à lors ; et elle

n’avait jamais gâté mon pouvoir en mettant sur ma route des âmes vides aux chaussures creuses.

La nuit venue, mon homme s’est endormi tôt, presque apaisé, dans le calme d’une rue aux passants envolés. Quelques gouttes de pluie faisaient un clapotis musical, petite symphonie improvisée de claquettes et xylophone près de ma plaque d’égout. Comme souvent, mon homme n’a pas fait attention à mon bras qui traînait sur la grille, salissant ma manche. Il devait être deux heures passé.

À l’angle, j’ai aperçu un individu, grand, fin, manteau gris assorti à un visage de brouillard. Sa figure de brume s’est rapprochée, en même temps qu’une drôle d’odeur de folie. Il s’est arrêté sous notre porte. À cette heure-ci, plus personne ne donne d’argent bien sûr… Pourtant, il a bien enfoui sa main dans une large poche, prêt à dégainer quelques restes de pièces de compassion. Grand être aux cheveux noirs, regard plus froid qu’un tombeau qui semble fissuré de haut en bas par une colère gratuite. Sa démarche a la fragilité d’une quille, ses chaussures sont comme invisibles, fondues dans le pavé ; un homme sans pieds, un cœur sans horloge, une tête sans rêves.

Soudain, c’est en plein cœur que ce dernier frappe, sans ciller, avec la précision d’un mathématicien et un sadisme chirurgical, prêt à tout déchiqueter : une âme de boucher couplée à la force d’un haltérophile ! Mon bel homme endormi n’avait aucune chance… Trois coups de poignards secs, comme trois coups de bâton au théâtre, annonçant une tragédie cruelle. La mort, dans son costume sur mesure de passager clandestin, qui utilise ses passe-droits, sans scrupules, sans chercher à se justifier.

J’ai été éclaboussée d’un sang aussi vermeil que notre passion, aussi pur que le cœur de mon homme. C’était sa dernière errance. Autour de notre bulle, quelques néons cassés clignotent comme un adieu sous les projecteurs. La bruine chaude pose ses lèvres douces et humides sur la peau de mon homme… Ses gouttes de sang s’égrainent telle une clepsydre : des points de suspension à une existence en marge… Tout excès lacrymal m’étant interdit, le ciel compatissant pleure à ma place.

Nous sommes morts cette nuit-là, près d’une rose blanche abîmée, tombée d’un bouquet trop cher et sans sincérité : lui, boule de douceur et bonté, recroquevillé sur le pavé de la porte cochère, et moi, témoin, impuissant et silencieux, du crime sans mobile de mon pauvre marionnettiste.

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