Le concours de dessin : Timbramoi 2016

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Suite à notre concours de dessin sur le thème « Dessine moi un jardin extraordinaire » voici le carnet de quatre « Timbramoi » réalisé à partir des dessins gagnants .

Un grand bravo à tous nos jeunes participants .

Félicitations à nos artistes en herbe !

carnet timbramoi 2016

 

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Publication des nouvelles gagnantes

Les nouvelles gagnantes

Bravo à nos lauréats de notre concours de nouvelles édition 2016  .

« Les réparateurs de chagrin » de Madame Véronique VIALA   1er prix

Les réparateurs de chagrin

Il y a une trentaine d’années, je me liai durablement avec une jeune adolescente. Cette relation avait pourtant très mal débuté et nul n’aurait pu présager son heureuse conclusion.

Je fréquentais le salon de son père, j’étais reçu à la table familiale. Ses parents me trouvaient spirituel malgré mon âge avancé et ma physionomie austère. Pour la jeune fille, ma figure passablement ridée, l’ostentation de mes rubans dorés revêtaient sans doute un caractère bien trop désuet. Car on se trompe en croyant que les femmes sont assez sottes pour être troublées par la gloriole et les décorations. Cette relation m’a prouvé qu’elles ne s’arrêtent pas aux apparences et cherchent sous l’écorce, la sève. Toujours est-il que pendant son enfance, elle me boudait et manifestait ostensiblement son ennui, le poing fermé sous le menton, les yeux au plafond, les ongles tapotant la nappe blanche. Mes discours comme mes histoires ne lui faisaient aucun effet, et j’avoue que j’en étais quelque peu froissé.

Consciente de cet état de fait, et désappointée par son désintérêt flagrant,   sa mère récidiva pour tenter quelques rapprochements. En vain. Elle quittait la table dès qu’on me présentait. Elle raillait mon vocabulaire, mes phrases trop longues, mon style suranné. A ses yeux, j’étais « ringard ». Avait-elle peur de moi ? Ne comprenait-elle tout simplement rien à mon jargon de barbon ? Je suppose plutôt qu’elle ne supportait pas qu’on lui impose ses affinités électives. C’est bien connu, le verbe « aimer » déteste l’impératif. Elle préférait s’enfermer dans sa chambre pour se trémousser sur un simulacre de « musique » qui me dépassait totalement. J’ignorais si je devais son indifférence à cette poussée pubère qui engendre la frivolité, ou à ma nature propre, décidément trop démodée. Je me retrouvais parfois au cœur de farouches controverses familiales. Pour elle, ces disputes n’étaient en réalité qu’un prétexte  pour provoquer une dissidence tutélaire. J’incarnais finalement un banal conflit de générations.

Le temps passa. D’abord on m’ignora, puis on m’oublia. Je ne fus plus convié ni à table, ni nulle part. Pour clore le tout, on avait acheté un appartement à Paris. On reviendrait quelquefois pour les vacances et pour passer l’été. Peu à peu la maison se vidait de ses habitants. Et de ses encombrants… Sans doute avais-je fait mon temps.

Impossible d’oublier cependant ce jour gris, ce jour de pluie et de spleen, ce jour où nous nous rencontrâmes. De son balcon céleste, le soir se penchait. Nous étions à la mi-octobre. Elle était descendue au jardin, rêveuse, songeant à son enfance qui s’esquivait doucement. L’averse venait tout juste de cesser. Des nuages mauves papotaient avec les derniers rayons d’un timide soleil. Ils s’égouttaient sur son ciré. Elle entra dans la remise, farfouillant, cherchant quelques reliefs de son passé. D’abord, elle ne me vit pas. Je crois plutôt qu’elle flaira ma présence sans me distinguer pour autant. Et puis dans un coin sombre, accommodant son clair regard, soudain, elle me reconnut. J’étais racorni au milieu de tout un fatras, salement amoché. Saisie, figée, elle s’agenouilla. Elle me frôla du bout des doigts et murmura, émue : « Ô mon dieu ! Qui t’a mis dans cet état mon pauvre vieux ? »

Bien qu’elle n’ait jamais manifesté le désir de mieux me connaître, je savais que je faisais un peu partie d’elle-même, que je ne lui étais pas totalement indifférent. Elle n’avait jamais, jusqu’à présent, éprouvé de sympathie particulière pour le vieux compagnon que j’étais, mais ce jour-là, sensible à ma détresse, elle semblait particulièrement affectée. J’étais si fracassé !

Avec précaution, elle me redressa. Robuste, trapu, volumineux, je suis puissant. Cependant, contre elle, je sacrifiai tout panache et comme un malade fiévreux, je m’abandonnai… non sans profiter des coussins douillets de sa gorge vallonnée, non sans m’enivrer de son parfum ambré.

Elle résolut de m’examiner sous toutes les coutures, me tournant d’un côté, et puis de l’autre. Ses palpations ne me laissaient pas indifférent…mais je ne bougeais pas d’un iota. Puis elle souffla sur mon chagrin, bien déterminée à chasser les restes d’escarbilles et de boue de mes oripeaux.   Sous ma pelure pleine de bleus, j’en profitai pour la contempler tout à mon aise. Je l’observai me découvrir : elle caressa une tranche de mon échancrure aux mille éclats dorés. Puis elle se mit à chatouiller une mèche de ma coiffe ébouriffée. Celle-ci pendouillait en tranchefil, arrachée, scalpée. Elle posa ensuite sa main sur mon dos cambré, déglingué. Il s’affaissait comme une poutre vermoulue. Cependant, mon aspect repoussant ne la rebutait pas. Ma vanité n’en souffrait pas non plus car j’avais la certitude qu’une fois adopté, délibérément adopté, je lui prodiguerais des trésors… Aussi dit-elle :

« Viens mon vieux, je te ramène à la maison. »

Je me laissai porter, transporté d’espérance, sans dire un mot. L’heure n’était pas encore venue…

Arrivés chez elle, elle m’allongea sur son lit, s’arma de tout un attirail, cisaille, fil, aiguille,   afin de panser mes déchirures, mes plaies. Elle me soignait comme elle le pouvait, tremblante, craignant de me blesser davantage. Tandis qu’elle suturait quelques morceaux de chairs écorchées, elle susurra comme pour elle-même.

« Je ne suis pas experte. Il faudrait consulter un spécialiste. »

Que se passa-t-il à cet instant ? La pitié inspire rarement l’amour. Pour naître, celui-ci réclame l’égale considération de deux personnages qui s’estiment. Fut-ce de la fraternité ? Ou bien la forme compassionnelle et tendre de ce sentiment : ces fameux « agapè » qu’évoque Platon ? Toujours est-il que ses yeux s’ouvrirent et qu’elle tomba sous le charme de son sorcier mutilé. Enfin !

Alors comme promis, je lui ouvris mon cœur et me livrai tout entier. Ce fut un véritable coup de foudre. Elle était interloquée. J’ignore lequel de nous deux eut la meilleure fortune ce soir-là. S’il est évident qu’elle m’avait sauvé d’une mort certaine et prochaine, elle n’était pas mal tombée non plus. Certes, son esprit critique n’était pas encore suffisamment développé pour en juger avec lucidité. Car il aurait été facile de la séduire avec des discours d’autant plus captivants qu’ils auraient été inédits pour ses jeunes oreilles.   Mais j’ai la faiblesse de croire qu’elle était déjà assez futée et affutée pour ne pas se laisser embobiner par des romans à l’eau de rose ou cousus de fil blanc.

Car mes mots l’envoûtèrent. Nous conversions d’âme à âme sans voir le temps passer. Je lui racontais mon histoire bien sûr, mais celle-ci semblait rejoindre la sienne, elle lui parlait d’elle-même, en miroir. Un invisible lien nous enlaçait l’un à l’autre, sincère, discret et prodigue tout à la fois. Je ressentais le privilège « d’arrêter le regard bienveillant d’une reine. [1]» Je sentais poindre son émotion de fil en aiguille ; un tissage harmonieux se tricotait entre elle et moi, un tissage peuplé de signes minuscules qu’elle déchiffrait, décryptait. Mais sans elle, je n’étais rien non plus, je ne pouvais me déployer qu’à travers elle. Je sentais bien que le désir était né, un désir qui ne s’éteindrait plus. Je n’étais que le premier et je ne m’imposerai pas. Bientôt, je serais remplacé par un autre. Qu’importe ? Qu’elle devienne libre, indocile, rebelle, infidèle, et je m’effacerai, philosophe, ma mission accomplie.

Mais pour l’instant, j’étais bel et bien là.

Comme une fiancée après l’amour, elle s’était endormie, le visage abandonné, tout contre moi. Ses cheveux bouclés au front effleuraient une de mes pages.

[1] Citation de John Ruskin

« La luciole » de Madame Solène AYANGMA   2ème prix

La Luciole

Je marche, incertaine. Perdue dans la nuit, mes repères m’échappent. Je ne sais d’où je viens, je ne sais où aller. Les traces hésitantes de mes pas s’évanouissent derrière moi, recouvertes par la danse en deux temps des vagues glaciales. Les secondes s’écoulent le long de mon chemin hasardeux. Il n’y a que toi, ma seule constante. Depuis le commencement de cette aventure improbable, ma main ne t’a jamais lâché. Tu es si froid.

J’écoute la mer. Son souffle tranquille caresse la plage. Ses inspirations emportent les coquillages, polissent le sable gris. Ses expirations estompent les signes chaotiques abandonnés par les crabes. Son doux crépitement s’immisce dans mon esprit, m’apaise. Je te scrute. Tu ne me parles pas. Tu ne me parles plus.

La lune est pleine ce soir. Sa clarté illumine le ciel dégagé, cache les étoiles. Je discerne son reflet sur l’horizon houleux. Ses rayons diffus argentent la surface de l’eau, illuminent le littoral qui s’aligne devant moi. Le monde est si beau, sous cet éclat lunaire. J’aurais aimé connaître tes pensées.

Quelque chose attire mon regard, à ma droite. À la lisière de la forêt, je la vois pour la première fois. Une lueur instable qui m’appelle au cœur de la nuit. Ma main t’enserre, tu ne dis rien. La douce lumière verte s’éteint, s’allume, s’éteint… Une luciole. Son éclat pénètre mon égarement, m’extrait de ma torpeur indécise. Je m’émerveille, délaisse l’océan pour m’approcher d’elle. Silencieusement, tu me suis.

L’étincelle miroite quelques instants sur le rivage, puis s’éclipse dans les feuillages. Telle une enfant, je la piste. Soudainement, il ne reste que la forêt. Le grondement de la mer se dissipe sous le couvert des arbres, sa mélopée monotone disparaît parmi les craquements de bois, les crissements d’insectes, les hululements d’oiseaux. Rien ne te subjugue, rien ne t’effraie.

L’humidité m’enveloppe. L’air est chaud, dense. Les rayons de la lune se faufilent entre les branches enchevêtrées des feuillus, distillent leur éclat bleuté sur la litière forestière. La lueur verte oriente chacun de mes pas, chacune de mes pensées. Te souviens-tu de nos promenades nocturnes ? De nos échappées sous les étoiles, lorsqu’être deux nous suffisait ? À mes côtés, tu demeures impassible.

La luciole sème ses indices fluorescents et éphémères. Je remonte lentement la route qu’elle esquisse de ses lueurs intermittentes. Je te sens contre moi, exilé dans ton mutisme et ton inertie. Je regrette ce nous désordonné que nous formions. Ces conversations absurdes où nos mots s’entremêlaient, se bousculaient sans logique jusqu’aux rires et aux soupirs. Ce soir, je ne t’entends plus.

Mon guide lumineux poursuit son chemin. Son scintillement émeraude illumine les écorces tapissées de mousse, effleure les fougères qui parsèment le sous-bois. D’une racine à l’autre, il valse. Son insouciance me touche. Nous aussi, nous vagabondions dans notre vie sans jamais nous suspendre à des projections futures ; nous existions dans le présent. Nous avions bâti notre univers un jour après l’autre. Mon cœur s’attriste. J’ai la détestable certitude que, cette nuit, notre temps s’achèvera. Pour nous, tu as cessé de lutter.

La luciole bat le rythme de son abdomen phosphorescent, impose une pulsation lente, profonde. Elle égrène ses accords luminescents dans la dissonante symphonie nocturne. Elle colore de notes sporadiques la brise mélodieuse, pigmente les percussions boisées des branches ployées, bariole le refrain rocailleux psalmodié par les grenouilles. Nous dansions souvent, toi et moi. Tu me faisais virevolter du bout de tes doigts, tes yeux restaient mes repères dans ce tournoiement étourdissant. Aujourd’hui, tes pas ne sont plus que l’ombre des miens.

Je m’arrime à l’étincelle qui, comme un phare, m’oriente dans les méandres de l’obscurité. Je ne peux deviner où elle m’amène. Je m’en remets à ses sens et à son instinct. À chaque clignement lumineux, mes émotions s’alourdissent. La luciole me rapproche d’une fin inévitable, qu’il est maintenant impossible de fuir. Tu le sais aussi, tu t’enlises dans ton silence. Là où je vais, tu vas sans plaintes, mais ce soir nos routes divergeront. Et tu demeures stoïque.

L’éclat vert s’échappe de la forêt. Les arbres s’effacent derrière moi, mes pieds foulent désormais l’herbe sauvage d’une prairie. Une étendue effilée de fleurs albâtres scintille sous les rayons de la lune. La luciole ricoche de pétale en pétale. Ta froideur me maintient dans la réalité. Tes sourires si tendres se sont envolés. Parfois, dans l’intimité de la nuit, je doute. Tu étais heureux, n’est-ce pas ? Avec moi, tu étais heureux ? Je t’ai offert ma richesse, mes pensées, mon âme. Je t’ai voué tout mon passé, tout mon présent. Je t’ai donné chacun de mes lendemains. Ta tranquillité me rassure. Oui, tu as aimé notre vie partagée.

La lueur cyclique vagabonde. Elle m’entraîne dans une nature éthérée. Les senteurs iodées, chassées par les exhalaisons fraîches des écorces, reviennent délicatement dans l’atmosphère. Les arômes ténus des fleurs transparaissent timidement avant de se dissiper dans l’air marin, fugaces. Combien de fois as-tu respiré la chaleur de ma peau ? Tu expirais ta tendresse au creux de mon cou, tu soufflais ton affection à mon oreille. Maintenant, tu me caches même tes inspirations.

Mon guide se rappelle à moi par intermittence. Son scintillement périodique m’emmène toujours plus loin. Une colline haute se dresse bientôt sur mon chemin. De lourdes roches blanches saupoudrent sa pente abrupte. La luciole les gravit une à une, son reflet émeraude sursaute lentement vers le sommet. J’entreprends la montée. Je glisse, m’agrippe d’une main aux pierres crayeuses, te serre de l’autre. Je ne te lâche pas. Tu ne me lâches pas. Ensemble, jusqu’à cet achèvement que nous redoutons.

La fluorescence semble nous attendre. Elle vacille au-dessus de nous, nous encourage. Enfin, péniblement, nous atteignons la cime. Apeurée par notre arrivée essoufflée, la luciole s’éloigne. Son étincelle signe quelques instants la nuit, avant de s’éteindre. Je la cherche du regard, son absence m’affole. Je guette l’obscurité teintée d’argent, angoissée, mais la lumière n’est plus. Notre route s’est arrêtée.

Alors, j’observe les alentours. La prairie aux floraisons ivoirines, la forêt aux arbres tortueux, l’océan à l’horizon incertain. Un endroit magnifique. Dans sa paisible promenade nocturne, la luciole m’a extirpée de l’obscurité, m’a lentement guidée dans un rêve évanescent. Elle a tracé un chemin de lumière sous mes yeux égarés et m’a emmenée, étincelle par étincelle, jusqu’à ce lieu unique. Ce sommet solitaire, que le vent effleure sans accroche. Ce mirador naturel, qui surplombe un paysage beau et tranquille.

Ici s’harmonise toute chose. Ici s’éteint la luciole. Ici s’achève notre relation.

Mon cœur se fracture. Tu es là, figé, impassible. Immuable. Alors je t’enlace une dernière fois. Je frissonne de désespoir, je tremble d’impuissance. Tu ne me rends pas mon étreinte, je suis la seule à souffrir. Toi, tu ne peux plus rien ressentir. Dans un dernier sanglot, je m’apaise.

J’ouvre ton urne.

C’est un bel endroit pour disparaître. La lueur émeraude n’aurait pu me guider à un lieu plus approprié. Doucement, je disperse tes cendres. La brise emporte les poussières de nos souvenirs, de notre amour, de notre existence. Épars, tu fonds dans l’obscurité.

À mes côtés, un éclat vert enflamme subtilement la nuit. Il s’éteint, se rallume. Sa douceur éphémère imprègne irrémédiablement mon esprit esseulé. La luciole reprend son errance.

Quant à moi, je reste immobile.

 

« Léo  » de Monsieur Gabriel Huguin  3ème prix

LÉO

Assise, j’attends depuis deux heures.

Les couloirs aseptisés de cette clinique privée me désolent. Des familles défilent. Immergée dans mes pensées, je n’y attache aucune importance. Toi, on t’a allongé dans cette chambre, derrière cette porte que je n’ose franchir. Une infirmière s’y faufile sans égard pour moi. Elle ne sait pas qui je suis. J’entends son sourire lorsqu’elle s’adresse à toi, puis ta voix un peu fébrile comme pour la première fois.

J’hésite à entrer, à m’imposer, à te redécouvrir.

Entre mes doigts, un bracelet en plastique, l’un de ceux qu’on attache au poignet des nourrissons. Je l’examine. L’encre s’est effacée, mais j’y vois encore ton nom. Je l’imagine. Léa. Minuscule et enchanteur. Deux petites lettres et une dernière, celle de trop. Léa. Cet infime bout de toi, ton identité première, ta chrysalide, celle à travers laquelle nous t’avions tous envisagé.

Déjà, la porte s’ouvre ; l’infirmière quitte les lieux. Dans l’entrebâillement, je t’aperçois l’espace d’une seconde. Toi, tu regardes ailleurs. Tu as tout d’un homme. Tu es un homme. Sur ton visage, une pilosité naissante perce ton cocon, mais tes yeux restent les mêmes, vifs et courageux. À l’adolescence, ils se heurtaient à tes formes féminines et aux frontières de mon incompréhension.

Alors, tu te débattais à ta façon.

« Je suis un garçon, Céline ! » criais-tu du haut de tes treize ans.

Ces mots si simples, je ne les entendais pas. Ils me traversaient.

« Je suis un garçon, Léa est morte ! » répétais-tu inlassablement.

Tu ne m’appelais plus “Maman” depuis longtemps, car mes lèvres ne pouvaient se résoudre à prononcer ton nom, le tien, le vrai, celui qui te revenait de droit, cette lettre d’écart que tu voulais entendre et qui te soulageait. Tu m’affrontais alors dans un bras de fer quotidien en délaissant collants et robes pour une salopette empruntée au voisin et une coupe courte arrangée à ta sauce. Moi, j’y voyais une révolte, une passade, une agression.

Je t’imaginais garçonne, casse-cou, mais jamais…

… jamais je n’ai ouvert mon esprit à d’autres possibilités.

Puis vint la malédiction, le fardeau, cette puberté tant redoutée. Ton corps commença à changer et je me devais d’intervenir, d’aborder ces sujets intimes que seule une mère partage avec sa fille. Mais comment faire quand nos yeux ne se croisent plus, quand les jours s’enchaînent, quand je rentre tard, quand tu t’enfermes dans ta chambre ? Nous perdions l’équilibre. Notre complicité s’étiolait, aveuglée, jusqu’au point de non-retour. Personne n’osait plus peser sur la balance, personne ne voulait reprendre son souffle et se confronter à l’autre. Comment aurais-je pu deviner un instant que tu n’attendais qu’à t’épanouir, toi qui vivais désormais dans un corps étranger, toi qui voulais renaître autrement ? Il aurait pourtant suffi que je t’écoute, que je te considère autrement.

Juste une seule fois. Juste ce soir-là. Avant que tu t’en ailles.

L’heure tourne. La clinique se vide lentement.

Si je reste là, on me reconduira bientôt à la sortie. C’est ma dernière chance. Demain, tu seras loin d’ici. Je dois t’approcher, alors je lutte. L’intention est là, intacte, mais elle se terre derrière mon appréhension, derrière cette porte infranchissable qui se dresse entre nous. Ma volonté s’effrite, alors je lutte. Je m’accroche à ce lien intime, ce lien immatériel et maternel. Mère et fils. Chair de ma chair. Il m’appelle à te retrouver, alors je lutte.

Je lutte encore et je me lève.

Maintenant ou jamais.

J’inspire profondément, j’enserre la poignée et j’avance, prête à faire face. Derrière moi, la porte suspend son cours avant de se refermer, amortie en douceur. Pas un son, pas une remarque. Où es-tu ? Il n’y a personne sur ce lit d’hôpital, personne pour me toiser d’un regard surpris, personne pour me hurler de quitter les lieux. Je te sens tout proche. L’eau coule dans la salle de bain.

Je ballote. Je tangue. Je chavire. Non. Je résiste, immobile.

Mes yeux se raccrochent à un magazine posé sur la table de nuit. Est-ce une main tendue, un signe pour m’attirer vers toi ? Je m’avance d’un pas. Que lis-tu ? Les fleurs sur la couverture me rappellent l’amandier qui trônait au fond du jardin et sous lequel nous nous reposions au printemps. Allongée près de toi sur cette nappe à carreaux qui te servait de tapis volant, je te regardais sourire, insouciant. Rêves-tu encore de parcourir le monde ? Rêves-tu encore de grands espaces ?

Rêves-tu encore ?

Posées juste à côté de l’hebdomadaire, d’autres affaires témoignent de tes constantes. Gourmandise. Une boîte de chocolat entamée. Imagination. Quelques feuilles blanches griffonnées au stylo bic. Que prépares-tu cette fois-ci ? Serait-ce la trame d’un tatouage ? Un lotus aux couleurs de l’arc-en-ciel à graver pour une paisible renaissance ?

Je m’approche un peu plus. Je m’insinue dans ta vie. Tu m’intimides.

Une carte dépasse, cachée sous le magazine. Je fouine. Toutes tes connaissances y vont de leurs petits mots chaleureux pour te souhaiter un bon rétablissement. Nathan, Antoine, Jessica, Fati. Ces noms ne me disent rien. Je soupire. Ce soutien que j’aurais dû t’apporter, tu l’as trouvé ailleurs, dans cette famille assemblée de toutes pièces. Ma poitrine me fait un mal de chien lorsqu’un dernier souvenir surgit.

Mon dernier souvenir de toi.

Je te vois rentrer du lycée le visage en sang. Instinctivement, je m’approche pour t’examiner. Tu recules, le regard noir. Ce mouvement effarouché, c’est l’esquive de trop, la trahison fatale, un pieu. Mes pensées débordent. Pourquoi haussé-je le ton ? Tout se mélange, tes cris, les miens. Tu me glisses entre les doigts. Tu échappes à mon emprise, à mon contrôle. Tu n’es plus la chair de ma chair, juste un autre, une boule de nerfs qui s’enflamme sous mes yeux accusateurs. Vas voir ailleurs. Ailleurs, les femmes sont fières d’être des femmes. Ailleurs, les filles respectent ce corps offert à leur naissance. Qui es-tu ? Sacrilège. Tu es sacrilège. La porte de la maison claque derrière toi. Je reste assise, paralysée, la gorge recroquevillée. Je ne t’empêche pas de partir. Je ne te cours pas après. Comment en sommes-nous arrivés à nous détester autant ? J’ai honte.

Aujourd’hui, je me rends compte du courage qui t’anime.

Dans la chambre, le silence s’est installé. L’eau ne coule plus. Je frémis. Tu vas débarquer d’un moment à l’autre et me surprendre à fouiller dans ta vie. Je résiste encore, le souffle suspendu. Sur le matelas, une vibration attire mon attention. Je me penche en avant.

Près du coussin, ton téléphone s’allume.

« J’arrive dans cinq minutes ! Je t’aime ! »

Je frissonne et me redresse trop vite ; la boîte de chocolat s’écroule sur le sol.

« Antoine ? C’est toi ? »

Ta voix étouffée me glace le sang. Je recule d’un pas.

« Je finis de m’habiller ! »

Le bracelet me glisse des doigts.

« Me voilà ! »

Au moment où tu sors de la salle de bain, tes mots disparaissent avec moi. Je me précipite dans le couloir vide sans me retourner, sans un regard en arrière. Plus jamais ça. Les larmes coulent. Jamais. Tu n’as plus besoin de moi. Alors j’appelle l’ascenseur.

Soudain, ta voix résonne.

« Céline ? »

Ma peau frémit. Je n’ose pas t’affronter.

« Maman ? »

Tu franchis mes remparts. Les yeux intimidés, je me retourne.

« Viens par là », marmonnes-tu, essoufflé.

Pieds nus sur le carrelage glacé, tu m’ouvres tes bras. Un sourire amer se dessine. Alors, je me laisse enlacer et m’épanche sur ton épaule. La laine de ton pull me gratte, mais je retrouve ton odeur. Elle n’a pas changé.

« Tu as fini par comprendre… »

Je tremble. Quelques sanglots s’étouffent.

« Oui… », murmuré-je.

Les voix s’étranglent dans nos gorges nouées. Le silence laisse naître nos émotions. Voilà nos retrouvailles inaltérables, ta renaissance, la mienne. Dans mon dos, je vois tes mains me serrer. Entre tes doigts crispés, le bracelet ridicule, cette gourmette de plastique.

On peut y lire ton nom, le vrai, celui qui aurait dû te revenir.

On peut y lire : Léo.

 

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Embarquons sur Le Radeau de la Méduse

Avant-première du festival 

Samedi 5 mars

L’Association « L’écriture prends le large » et le Musée de la Marine de Rochefort

nous embarquent pour la

                 Projection du film documentaire d’Herlé Jouon :

   « La véritable histoire du radeau de la Méduse ».

Un docu-fiction, issu de nombreuses recherches historiques et maritimes, qui évoque, les causes du naufrage, les conditions de vie des rescapés sur le radeau et la création picturale de Géricault.

    Projection sur grand écran

       Salle Hélène Neveur/20h30/ entre libre

Présence de Philippe Mathieu, Directeur des recherches historiques sur lesquelles se base le film

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Soirée d’ouverture : Une journée autour du monde

OUVERTURE DU FESTIVAL

Vendredi 11 mars à 20h30

Salle Hélène Neveur de Thénac

Entrée libre

« Une journée autour du monde « 

Reportage audiovisuel présenté par Jamel Balhi

 

Le bout de la muraille de Chine - J

Jamel Balhi au bout de la muraille de Chine

Invité d’honneur du festival, Ambassadeur de l’Unesco, Jamel Balhi parcourt le monde au rythme de sa course, à 12 km/h. Il a traversé plus de 200 pays, jusqu’aux endroits les plus inaccessibles de la terre.

Qui mieux que lui pourrait nous « raconter la terre » ??

Ce reportage nous fera voyager au rythme d’une journée dans le monde. Nous verrons ainsi, sous toutes les latitudes et dans toutes les civilisations, comment vivent les hommes, du lever au coucher du soleil.

Empreintes d’une profonde humanité, ces images véhiculent un formidable message d’espérance

Témoignage :

Aller à la rencontre de Jamel Balhi c’est partir en terre inconnue, oublier le quotidien, vivre d’une autre façon un itinéraire particulier qui nous fascine et nous renverse. . Jamel Balhi dégage une sérénité, une nonchalance et un sourire, d’une grande douceur. Il n’a rien à vendre, rien à enseigner, juste à témoigner.

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Résultats concours de nouvelles

une main en train d'écrire

En ce 29 février 2016, le jury a procédé à la désignation des 3 nouvelles lauréates du concours 2016.

Les gagnants sont les suivants :

– 1er prix: Madame Véronique VIALA pour la nouvelle : « Les réparateurs de chagrin »;

– 2ème prix : Madame Solène AYANGMA pour la nouvelle :  » La luciole »

– 3ème prix : Monsieur Gabriel HUGUIN pour la nouvelle :  » Léo »

Chacun de ces gagnants sera averti personnellement de ces résultats et, conformément au règlement du concours, sera invité à participer à la remise des prix fixée le samedi 12 mars prochain à Thénac – ou à désigner un représentant.

Le 3ème prix ( livre offert par le libraire du salon) fera l’objet d’un envoi postal.

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